L'ORGANISATION DE L'ÉCONOMIE INCA1. L'ayllu et la réciprocitéL'agriculture et le travail qui en découle nécessitait une entraide entre les membres de l'ayllu. Elle prenait la forme d'un échange de travail ou d'énergie humaine, appelé ayni, et qui s'exprimait lors des semailles et des récoltes. Celui qui avait reçu cette aide (ayni) se devait de la rendre dans de justes proportions à la demande du prestataire initial.
Cette réciprocité pouvait s'exprimer autrement: les hommes adultes et en bonne santé de l'ayllu veillaient à la culture des champs des vieillards, des veuves, des malades, des estropiés. En outre, ils construisaient la maison des jeunes mariés.
Le fait d'appartenir à une ayllu donnait le droit de bénéficier de l'aide de la collectivité ou de l'ayni mais créait aussi des obligations à cet égard. Cette solidarité était le résultat d'une nécessaire cohésion face à un environnement inhospitalier.
A la base de l'organisation inca, se trouvait donc la plus petite entité: l'ayllu. Mais les ayllus pouvaient être de dimensions très différente et par cela même certaines étaient dominantes et d'autres soumises. Ainsi se formaient des ensembles ethniques, composés d'ayllus soumises autour d'une ayllu dominante.
Tous les membres des ayllus soumises étaient soumises au chef de l'ayllu dominante: le curaca.
L'économie est fondée sur la gestion de la main-d'oeuvre, sur l'échange d'énergie humaine, sur une sorte de collectivité du travail et nullement sur des échanges de biens ou sur une possession collective des biens. La richesse était liée non pas à la possession des biens mais à l'accès à la main-d'oeuvre pour la production de la communauté. Le pauvre étant celui qui possède peu de liens de parenté.
2. Le curaca et la redistributionLes membres des ayllus avaient des obligations envers le curaca. A la demande de celui-ci, ils entretenaient et exploitaient ses terres , son bétail avant les leurs. Donc les membres des ayllus pour quelques mois et à tour de rôle, ils réalisaient ses corvées: garder les troupeaux, filer, tisser leur laine , voire même entretenir sa maison: c'est la mita.
Des réserves étaient constituées grâce à ces mitas périodiques (en aliments, en vêtements,...). Ainsi s'établit le lien entre mita et redistribution.
Cependant les ayllus ne devaient aucun impôt au curaca, si ce n'est cette mise à disposition de main-d'oeuvre temporaire.
Le curaca administrait l'excédent produit par la mita et veillait à palier tout manque Il organisait les réserves pour les périodes de disette (guerre, sécheresse,...).
Le curaca nourrissait, logeait, habillait et outillait ceux dont ils disposaient dans le cadre de la mita. Les mitani (ceux qui effectuent la mita) ,dès que les corvées étaient remplies, rentraient chez eux avec des compensations: animaux, vêtements, tissus,... issus des propres réserves du curaca. En outre, le curaca veillait à la sécurité matérielle des orphelins, veuves, malades,...à l'aide de ses réserves. Le curaca avait donc des droits mais aussi des obligations.
Ces règles comme le curaca préexistaient à l'empire et l'héritage de celles-ci en a permis une utilisation expérimentée. L'empire Inca l'utilisa simplement à une plus grande échelle. La charge du curaca était hautement rituelle.
Au sein de l'ayllu, certaines réciprocités sont constantes, fondées sur l'énergie humaine (familiale) et d'autres plus ponctuelles et précises (ethnique ou pluriethnique).
Tout comme il y avait des ayllus soumises à l'autorité d'un curaca, il existait des ensembles de curacas au service d'un curaca plus puissant obtenus par un échange de réciprocité ou par la force. Un des avantages de ces ensembles de curacas est qu'il englobe des régions plus vastes et donc plus diversifiées au niveau de la production. La redistribution dans ces ensembles était du même type qu'à l'échelon plus bas. Cette réciprocité permettait, par exemple, de produire des biens introuvables près du lac Titicaca où résidait généralement l'ethnie. Diverses mitas permettaient de cultiver à des endroits très différents (côtes, proximité forêt amazonienne,...) et d'y cultiver d'autres légumes ou fruits; Il fallait donc une mita pour semer, une autre pour récolter, et une pour transporter les produits vers le lieu d'origine de l'ethnie afin d'y entreposer la production. Cette technique permettait la redistribution des biens à travers l'empire ou à travers une ethnie profitant ainsi d'une diversité des produits impossible à obtenir au niveau local.
3. L'huaca et la redistributionL'huaca est une divinité tutélaire, plus précisément il s'agissait souvent d'un ancêtre du curaca. Cet huaca créditait l'autorité du curaca. L'huaca prenait souvent la forme, la représentation symbolique d'une source, d'un arbre, d'un rocher,... sur une montagne voisine. L'huaca veillait sur les récoltes, le bétail,...
On enterrait les morts de l'ayllu dans cette montagne afin qu'ils soient en compagnie des ancêtres.
A l'instar des curacas, chaque huaca avait des terres propres et du bétail. Les mitani s'occupaient des corvées occasionnées par les terres et le bétail, et de la même manière que les curacas, une redistribution était assurée.
4. L'Inca, la divinité solaire et l'économieA un niveau supérieur du curaca et de l'huaca, il y avait l'Inca et la divinité solaire. Les relations entre curaca , huaca et ayllu étaient du même type que les relations Inca, divinité solaire et éléments constitutifs de l'empire. Tout le système de redistribution est reconduit à l'échelle de l'empire. D'où la nécessité de connaître à tout moment la main-d'oeuvre dont l'Inca pouvait disposer. Il fallait donc des registres comptables pour dénombrer, notamment, les individus susceptibles d'échanger leurs énergies.
Toute terre nouvellement conquise était répartie en 3 tiers. Le premier était destiné au Soleil et les produits naturels qui en étaient issus servaient à l'entretien des prêtes et des temples. La seconde était propriété de l'Inca: la production de ces terres servait à la redistribution de Cuzco destinés à ceux qui servaient le pouvoir, l'administration ou simplement pour constituer des réserves. La dernière était répartie entre les familles suivant les règles en vigueur. Chaque Inca successif recevait des terres différentes qui par la suite appartenait à la panaca (groupe de parenté de l'Inca). On pense qu'en se développant, le Tawantinsuyu entraîna l'essor de la redistribution et son extension aux territoires conquis.
A chaque nouvelle succession, l'Inca visitait chaque groupe ethnique afin de mettre à jour les critères de redistribution du Cuzco et de préciser derechef la main-d'oeuvre à mettre à sa disposition et les biens à fournir aux réserves de l'Inca. Le mariage de l'Inca avec des femmes appartenant à chacun des groupes ethniques n'était pas fortuit puisqu'ils créent des liens de parenté, et donc des obligations réciproques. Au sommet de l'organisation économique se trouve l'Inca qui se repose sur organisations ethniques et leur économie de redistribution mais en gérant un système de redistribution à un niveau supérieur.
Il y avait donc une redistribution au niveau local autour du groupe ethnique mais aussi, une redistribution bien plus vaste, au niveau de l'empire. L'Inca s'en chargeait à partir des réserves. Pour opérer ce travail, c'est à nouveau des mitas (transporteurs) à qui l'on faisait appel. L'empire aussi organisait donc la mita. D'autres mitas concernaient la vie rituelle: garder le corps des momies des Incas par exemple.
La répartition des terres ethniques semblait lié à la redistribution puisque chaque année, elle faisait l'objet d'un pacte ou d'une négociation. Ainsi, chaque Inca organisait sa propre gestion des territoires du Tawantinsuyu.
Grâce aux principes de la redistribution et de l'échange d'énergie humaine, les Incas purent entreprendre de nombreuses constructions, créer des greniers supplémentaires, un réseau de routes, des centres administratifs,...
5. La réciprocité symétrique ou asymétrique- La réciprocité peut être symétrique: Les membres d'une ayllu utilisent leur énergie commune pour les cultures, la construction,... Ils pourront réclamer le même service en retour en cas de nécessité. Ceci en plus des tâches agricoles où il faut collaborer, l'entretien des troupeaux,...est appelé l'ayni.
La minka sont les prestations communes en vue d'un ouvrage profitant à l'ensemble de la communauté (travaux d'intérêt public = canaux, réservoirs, chemins, ponts,...).
La mitta est la prestation d'énergies par alternance, destiné à la production en vue d'une redistribution à l'ensemble du groupe (biens accumulés). Au niveau local, le curaca administrait la mitta.
- La réciprocité peut être asymétrique: La réciprocité ne semble pas être équivalente pour le bien immatériel (tâches d'administration des travaux, direction des activités rituelles, etc.), pour les biens de haute valeur rituelle (des vêtements,...).
6. Emigration (mitmaq, yanas, acllas)On évalue la population du Tahuantinsuyu entre 9 et 15 millions d'habitants.
Afin d'asseoir son autorité, sous l'impulsion de l'Inca Pachacutec, on déplaça de force des parties de populations récemment conquises et encore rebelles (mitmakuna). On transféra des parties de ces populations dans des contrées acquises et sûres, et on les remplaça sur les lieux d'origine à proximité des endroits stratégiques (ponts, greniers,...) par des colonies bien tenues même si les garnisons restaient parfois à proximité. Les colons exploitaient au mieux les ressources.
Ces populations déportées (mitmaq) devaient s'intégrer à leur nouvelles région. Pour cela, ils reçurent pâturages, cultures, outils,... et de ce fait, les obligations envers l'Etat était d'autant plus importante, leur dépendance plus grande.
Nous avons vu qu'une partie de la population était temporairement corvéable (mita). Parallèlement, il existait des dépendants perpétuels (yanas) par rapport au curaca, à l'Inca ou tout haut dignitaire. Ils accomplissaient alors diverses tâches de façon permanente et assignées par eux.
Suite à une révolte dans le village Yanayacu étouffée par l'Inca Tupac Yupanqui , l'Inca constitua une classe à part (yanacuna) dans l'Empire. Une classe qui était contrainte plus que les autres à servir l'État. Les yanakunas auraient donc été soumis à des relations de réciprocité, symétriques ou non. Les yanas conservaient une terre et du bétail et étaient parfois, lorsqu'ils étaient attachés à de hauts personnages, plus importants que des curacas locaux et à fortiori, aux yanas attachés à ces serviteurs locaux. Cette condition était héréditaire pour un (ou peut-être tous ?) de leurs enfants.
Les terres de l'Inca ou de la panaca étaient souvent entretenues par de nombreux yanakunas . Ils étaient parfois considérés comme des spécialistes et à ce titre, ils pouvaient être déplacés dans des régions éloignées. Certains yanas étaient curacas ou fonctionnaires. Ils étaient entretenus par Cuzco.
Des jeunes filles de 8 à 9 ans étaient emmenées comme femmes choisies (aclla) dans les acclahuasi (maison des femmes choisies) .
Ces femmes étaient toutes séparées de leur groupe d'origine et dépendaient des ressources de l'Inca. On leur apprenait à filer, à tisser et les tâches domestiques sous l'œil de femmes expérimentées (mamacuna). Parmi les acllas , certaines étaient choisies à 13, 14 ans afin d'être distribuées par l'Inca lors de la fête de raymi à de hauts dignitaires comme épouse ou concubines,d'autres étaient destinées au couvent pour servir le soleil en toute chasteté (les vierges du soleil).
Mitamq, yanas et aclla participèrent avec le temps de plus en plus activement à l'économie au profit du pouvoir impérial qui par cela même, prirent plus d'autonomie face aux réciprocités traditionnelles.
7.L'élevageLe lama, l'alpaga , la vigogne et le guanaco sont les camélidés présents dans les Andes. Le lama servait au transport des productions et parfois fournissait la laine et la viande (charki = viande séchée au soleil afin de mieux la conserver). Cependant dans l'alimentation courante, on utilisait plutôt la viande d'alpaga. Sa laine servait à des tissages colorés.
Les Indiens utilisaient la chair et la peau de lama mais pas son lait. Il servait de bêtes dans des sacrifices pour la religion de l'État.
Les guanacos et les vigognes vivaient sur les sommets glacés des cordillères et étaient sauvages. Les camélidés des Andes se tient sans difficulté sur la glace.
Il existait sous l'empire , le chaku (= chasse) des vigognes ou des guanacos (camélidés sauvages) .Leur laine était récupérée pour les vêtements fins de l'Inca.
Au nord des Andes, où l'altitude est plus basse, les camélidés sont rares. La domestication de certains camélidés semble remonter d'après les archéologues à lOOO ans av. J-C., (sierra de Chavin). Elle serait liée à l'origine au tissage et l'élevage se développa dans la puna. Les troupeaux de l'Inca ou du Soleil servaient ultérieurement à la redistribution, la laine étant destinée au tissage des tissus de l'élite ou destinés au culte.
Certains troupeaux étaient gérés par les ethnies. L'Inca et les seigneurs ethniques participaient au chaku ou chaco andin (chasse) qui visait à la capture des troupeaux de camélidés dispersés et celle des animaux sauvages: camélidés , pumas, ours, cerfs ,etc. La population intervenait dans la chasse par la mitta: rassembler les troupeaux domestiqués ou réunir des animaux sauvages. Après la période de procréation, l'Inca partait dans une province accompagné de vingt ou trente mille indiens nécessaires pour effectuer la battue et l'encerclement de la superficie du terrain choisi. A partir de points de repère géographiques (fleuves, ruisseaux, rochers,..), ils rabattaient les animaux vers l'endroit où ils savaient devoir les réunir. Ils capturent le bétail à mains nues: cerf, camélidés, daims, chevreuils, ours, renards, genettes,... et tuaient immédiatement les bêtes nuisibles. Il pouvait rassembler vingt, trente ou quarante mille têtes.
http://perso.infonie.be/m.art.guy%20/agri_4.htm