Écrit d’un seul trait durant l’été 1887, Pierre et Jean est le quatrième roman de Maupassant. C’est une œuvre naturaliste (ou réaliste-psychologique). L’œuvre, très courte, éditée en volume le 9 janvier 1888 chez Ollendorff. Elle est composée du récit, mais également d’une « introduction », le roman, critique le genre de l’étude psychologique.
Pierre et Jean a pour cadre la ville du Havre où vivent les Roland.
Le lecteur découvre, en même temps que des paysages, certaines caractéristiques de cette partie de la Normandie : l’atmosphère des cafés, de la jetée, les marins fiers de leurs exploits, les bonnes campagnardes… (ce qui confirme le réalisme de Maupassant).
Il existe toutefois de rares écarts par rapport à la réalité comme l’invention de la rue « Belle-normande » ou le phare « d’Étrouville ».
Cette approximation confirme ce que dit Maupassant dans sa préface Le roman : « parler du réel, même de manière réaliste c’est forcément tricher un peu ».
Maupassant n’a pas d’emblée manifesté le désir d’associer ces deux textes. De plus, même après les avoir réunis, ils forment un tout disparate : comment expliquer alors que Maupassant ait réunit dans le même volume ces deux textes ?
Une réponse est fournie par l’éditeur de Pierre et Jean, qui trouvait l’œuvre un peu courte.
Plus philosophique, d’autres raisons plus littéraires, peuvent expliquer cette association : le roman instaure une sorte de jeu de cache-cache entre l’auteur et le lecteur. Le préfacier et le romancier portent des masques différents. Ce sont deux faux-frères, comme le sont également Pierre et Jean. Cette préface est donc un négatif, une « image inversée » de la nouvelle.
Conclusion : Le texte Le roman peut se lire de manière indépendante et il est avant tout une réflexion sur ce genre littéraire, qui, à cette époque, connaissait une profonde remise en cause.
Cette œuvre est une œuvre réaliste, notamment par les sujets qu’elle traite, à savoir l’hérédité (légitime ou bâtarde), la petite bourgeoisie, et les problèmes de l’argent.
Les personnages
Pierre Roland : trente ans, né en 1855,il a des cheveux bruns et un caractère plutôt emporté et est docteur
Jean Roland : vingt-cinq ans et futur mari de Mme Rosémilly,il est blond, barbu et de nature plutôt sage, il est avocat.
Gérôme Roland : père de Pierre, bijoutier, il parait ou plutôt est niais. Il ne comprend jamais ce qu'on lui dit en face.
Léon Maréchal : ami des parents, qui lègue sa fortune à Jean, il fut l’amant de Louise Roland, on ne parle que très peu de lui et est pourtant un personnage clé de l'histoire.
Louise Roland : Femme de Gérôme Roland, mère de Pierre et Jean, 48 ans, femme d’ordre et sentimentale, mis au monde Pierre à 18 ans et Jean 5 ans après, ancienne maitresse de Maréchal.
Mme Rosémilly : jeune veuve amie des Roland, futur épouse de Jean Roland.
Marowsko : pharmacien (polonais) réfugié en France, qui invente aussi des liqueurs, ami de Pierre Roland.
Le capitaine Beausire : marin, ami de M. Roland et de Mme Rosémilly.
Maître Lecanu : notaire qui annonce la mort de Maréchal et l’héritage de sa fortune à Jean.
Papagris : matelot de la Perle.
Dr Pirette : médecin d’un transatlantique, il ressemble à Jean.
Joséphine : bonne de la famille, elle a un accent campagnard.
Alphonsine : tient l’auberge de Saint-Jouin.
Résumé de l’histoire
Après des études à Paris leurs deux fils Pierre, l’aîné, médecin, et Jean, avocat, décident de s’installer dans cette ville. Cependant, une somme d’argent laissée en héritage au cadet par un ami de la famille, M. Maréchal, exacerbe la rivalité des deux frères, opposés au physique comme au moral. Un soupçon naît chez Pierre : et si son frère était le fils de Maréchal ? Peu à peu, il découvrira la vérité et le secret familial : sa mère a entretenu une liaison avec Maréchal. Contre toute attente, c’est l’aîné, le fils légitime, qui sera exclu du cercle familial et s’engagera comme médecin de bord sur un transatlantique. Cette atmosphère de secret et de non-dit avait de quoi séduire les spectateurs.
Pierre et Jean commence par une partie de pêche en barque au large du Havre, réunissant le père Roland, bijoutier parisien à la retraite, sa femme, leurs deux fils, Pierre et Jean, unis et opposés par « une fraternelle et inoffensive inimitié » rivalisant à la rame devant une jeune veuve, Mme Rosémilly. Au retour, les Roland apprennent que Jean hérite seul de Maréchal, un ancien ami de la famille. Pierre souffre de l’héritage de Jean. Il se pose des questions. Pourquoi n’a-t-il pas hérité aussi alors que Maréchal le connaissait depuis qu’il était tout petit ? Il décide alors de construire sa vie par ses propres moyens et trouve un appartement pour aménager son cabinet médical. Mais, par manque d’argent, c’est à Jean que revient le cabinet pour son travail d’avocat. Pierre devient alors de plus en plus irritable et de plus en plus agressif vis-à-vis de sa famille. Il cherche avec acharnement la raison pour laquelle seul Jean a hérité de la fortune. Il se souvient alors qu’un portrait de Maréchal était accroché sur le mur, et qu’il fut enlevé après la naissance de Jean. Il demande à sa mère où se trouve cette peinture, puis découvre la terrible vérité : Jean et Maréchal se ressemblent comme deux gouttes d’eau. Pierre en conclut donc que Jean est en fait le fils de Maréchal. Pierre fait alors comprendre à sa mère qu’il sait tout. Mais il n’ose annoncer la vérité car il ne veut pas que sa mère soit morte de honte. Pendant ce temps-là, Jean annonce à Mme Rosémilly qu’il veut l’épouser. Ne pouvant se retenir, Pierre révèle à Jean et à leur mère la vérité. Celle-ci veut partir à tout jamais, mais Jean la supplie de rester. Quelques jours passent, et lors d’un dîner, Jean fait la remarque qu’un bateau transatlantique a besoin d’un médecin. Alors Pierre, voulant prendre un peu de distance avec sa famille, avec l’accord de son père, décide de se présenter. Celui-ci est pris pour ce poste et part, laissant son père dans l’ignorance et sa mère moins torturée.
Analyse
D’Italo Calvino, dans Pourquoi lire les classiques, Paris, Editions du Seuil, 1993, p. 114-115 : "Le testament inattendu d’un ami de la famille, défunt, fait exploser la rivalité latente de deux frères, Pierre, le brun, et Jean, le blond, à peine diplômés l’un en médecine et l’autre en droit ; pour quelle raison l’héritage va-t-il tout entier au placide Jean et non à Pierre, le tourmenté ? En famille, à part Pierre, personne ne semble se poser ce problème. Et Pierre, de question en question, de colère en colère, renouvelle la prise de conscience d’un Hamlet, d’un Œdipe : la normalité et la respectabilité de la famille de l’ex-bijoutier Roland n’est qu’une façade ; la mère au-dessus de tout soupçon était une femme adultère ; Jean est le fils adultère et c’est à cela qu’il doit sa fortune ; la jalousie de Pierre n’est plus maintenant ressentie à cause de l’héritage de la mère et de son secret ; c’est la jalousie que son père n’a jamais songé à avoir qui dévore à présent le fils ; Pierre a, de son côté, la légitimité et la connaissance, mais autour de lui le monde vole en éclats."